vendredi, mai 20, 2011

Comment l'iPhone marque le début de l'iconisation du monde

Il n’y a guère d’effort à faire pour attribuer à différents objets physiques liés aux technologies de l’information des points de similitude avec certaines mythologies. Il n’est qu’à observer les écrans plats d’ordinateurs, de télévision[1] ou à l’iPhone ou à l’iPad d’Apple. La surface lisse de ces objets, plate et brillante (miroir, comme le précisent les fabricants), toujours noire, renvoie en effet à un imaginaire fécond en symboles, comme l’avait en son temps illustré le monolithe sombre et glacé du film 2001, l’Odyssée de l’espace (Stanley Kubrick, 1969).
le monolithe de "2001, a space odyssey"

La définition améliorée des écrans récents permet de rendre “graphique” cette interface, alors que les écrans monochromes des années 70 ne permettaient l’affichage que de caractères écrits. Les signes passeurs [Jeanneret, 2001] y empruntent des formes variées : chaînes de caractères, formes géométriques colorées, icônes. Ces derniers, les icônes, ont tendance à gagner l’espace de nos écrans. Cette icônisation croissante du mode d’interaction homme-machine, on la doit en particulier à l’impulsion d’Apple. Ce constructeur emblématique a, très tôt, mis en scène sur l’écran ce symbole d’actualisation de fonctionnalités auparavant accessibles uniquement par l’écrit (langage machine ou évolué). Son charismatique fondateur et Président, Steve Jobs, a en effet depuis longtemps compris le poids de la symbolique dans le design de ses produits.[2]

Les icônes ne sont pas que de simples agencements de pixels rassemblés dans un dessin symbolisant une fonction. Elles figurent aussi le pouvoir de l’utilisateur de se rendre là où il veut en « cliquant » sur elles. Dans l’icône sacrée, le sujet est représenté en perspective inversée afin que le contemplateur devienne le point convergent de l’icône, ce qui facilite la création d’un lien d’intimité entre le contemplateur et la représentation du sacré.
représentation iconique en
perspective inversée
On retrouve cette fonction de mise en intimité dans l’icône signe passeur où le contemplateur (l’utilisateur) est placé dans une position privilégiée pour accéder à l’espace qu’ouvre l’icône, une fois activée. Il n’est pas anodin de rencontrer sur ces nouveaux dispositifs de communication, notamment les « smartphones », autant de surfaces en miroir et autant d’icônes. Écarté depuis longtemps du temple et de ses secrets, l’individu profane retrouve avec ces dispositifs une relation plus directe avec le « savoir », la connaissance, sans qu’il lui soit nécessaire de passer par l’intermédiation du « prêtre ».

Apple et la révolution digitale
(publicité destinée à préparer
le grand-public à l'ère
de l'écran tactile ?)
Il dispose - enfin - d’un moyen personnel, intime, d’entrer au contact de ce qui lui était jusque là inaccessible. L’expression au doigt et à l’œil n’a jamais été autant d’actualité : il n’est qu’à observer tous ces glissements de doigt sur les écrans et la captation du regard par ces mêmes écrans dans les transports collectifs urbains pour s’en convaincre.

Soulignons enfin l’identité terminologique entre la génération des « digital natives » (les natifs de l’ère numérique, version francisée de digital era) et cette approche digitale (mais dans son sens physique originel) de l’interface homme-machine.




(extrait de “Comment les représentations que se font les entreprises des jeunes salariés et de leurs habiletés techniques transforment-elles les relations de travail et les formes du pouvoir et de l'autorité ? », Perelman Jérôme, Mémoire de Master2 « communication et technologies numériques », Celsa / École des Mines d’Alès, novembre 2010).


[1] Certains de ces téléviseurs procèdent d’ailleurs d’une technologie dite plasma, un attribut que l’on peut référer aux origines du Monde – le plasma, quatrième état de la matière, dont le nom est toujours associé au Big Bang – et également au sang nourricier.
[2] Jean-Marie Floch a décrit de manière très fouillée et argumentée le statut symbolique du logo d’Apple : « (…) il n’est pas illégitime de reconnaître deux grandes axiologies de la connaissance qui perdurent à travers les âges de la pensée occidentale : celle, phonocentrique, qui d’Aristote…à IBM, exalte la raison et la connaissance indirecte des réalités du monde par la médiation du langage verbal ; et celle, optocentrique, qui, de Plotin… à Apple, a choisi le camp de l’intuition et de la connaissance directe. », in Identités visuelles, 1995, PUF, p.67

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